Autant le dire tout de suite, la justice en tant que telle n’existe pas dans ce bas monde.
On se sent traité par la vie de manière « juste » tant qu’on est en bonne santé, tant qu’on a un travail et une paie acceptables et aussi longtemps qu’aucun aléa de la vie ne vient entraver ce qu’on en attendait ou ce qu’on pensait qu’on était en droit d’en attendre.
Tôt ou tard, chacun d’entre nous va se trouver confronté à quelque chose qu’il estime injuste, qui l’est peut-être d’ailleurs légalement (et auquel on pourra alors s’opposer), et peut-être pas, alors que d’autres, autour de nous, vont nous conforter dans ce sentiment que ce qui nous arrive est injuste ou alors infirmer cette pensée.
Si vous avez été épargné jusqu’à maintenant, vous pouvez cependant avoir la certitude que tôt ou tard l’injustice – ou ce que vous ressentirez comme telle – vous frappera : par une maladie, par une perte économique non attendue et/ou non méritée, par un accident, par la mort d’un proche, par des rumeurs malhonnêtes qu’on répandra sur vous. La liste est longue de ce qui peut nous arriver de déplaisant ou de destructeur.
Un certain recul par rapport à ce qu’on vit et une réflexion intellectuelle plus large permet d’aller au-delà des premières réactions du type « mais pourquoi ça n’arrive qu’à moi ? pourquoi moi ? je n’ai rien fait pour mériter ça », vécues de manière plus ou moins intense, car, justement, ça n’arrive pas qu’à nous, mais un certain degré d’injustice nous fait souvent passer d’une idée qu’on se faisait de nous-même comme de quelqu’un de « préservé » à la réalité du fait qu’on fait partie du commun des mortels et qu’on fait régulièrement face à l’inattendu et à l’imprévisible, pas toujours heureux.
Un peu comme lorsqu’on se rend compte que précisément, nous aussi, un jour, on mourra.
Cependant, une acceptation intellectuelle, seule, ne suffit pas pour faire face au malheur et, dans notre désir de pouvoir survivre à ce qui nous arrive, on tente d’adopter plusieurs postures, plus ou moins heureuses ou efficaces. Accepter. Accepter ne signifie pas ici être d’accord ni passif. Accepter signifie prendre en compte, ne pas être dans le déni. Accepter c’est réaliser ce qui est en train de se passer, l’embrasser, s’y immerger et faire face.
Lors de ce processus douloureux et émotionnellement compliqué, l’une des premières stratégies qui semble s’offrir spontanément à nous est le jugement, l’accusation, d’autrui ou de soi-même, et certains ne dépasseront jamais ce stade-là qui, hélas, est une impasse.
Cet article traitant de la parentalité, je vais le contextualiser ainsi : l’autre s’en va, emmenant les enfants, et je me retrouve seul-e, lésé-e gravement par la situation.
La recherche du coupable va être ce qui occupera alors une partie de mon temps (et il me semble qu’on aurait alors avantage à prendre acte des responsabilités diverses qui ont amené à la situation actuelle pour avancer vers autre chose).
Selon les particularités de ce que je vis, selon ma personnalité et mon fonctionnement habituel, je vais alors soit me culpabiliser soit accuser l’autre.
Dans ma pratique professionnelle, je rencontre régulièrement des personnes qui se sont enlisées dans la culpabilité avec, apparemment, aucun désir d’en sortir. En allant au-delà d’un premier regard, le sentiment de culpabilité est tout à fait loin d’un noble sens des responsabilités. Il est la dernière branche sur laquelle on pense pouvoir s’accrocher quand la débâcle survient et à laquelle on se cramponne avec l’énergie du désespoir. Le sentiment de culpabilité et l’auto-accusation peuvent être vues comme des tentatives désespérées de tenter de maîtriser ce qui se passe, la dernière étape possible avant le lâcher-prise et l’acceptation. C’est une experte de longues années d’une telle pratique qui l’écrit !..
Tout le temps que je passe à tenter de (me) donner des explications sur le pourquoi de la débâcle et à envisager comment j’aurais pu ou dû me comporter pour l’éviter me plonge dans une intense activité mentale qui me tient éloigné-e de mes émotions. J’évite ainsi de sentir mon corps, de vivre mon chagrin, d’agir ma révolte parce que je pense que je vais me noyer dans mes émotions.
Or, contrairement à l’adage, on ne meurt jamais de chagrin. On meurt de résister à la vie, de s’y opposer, de tenter de négocier avec l’innégociable car la vie, même la mienne, ses aléas, ne dépend pas que de moi, mais de multiples interactions avec autrui, avec le milieu naturel, avec l’époque dans laquelle je vis.
Tant que je me fais un récit de comment j’aurais dû agir, je ne vis pas l’instant présent et je me distancie de ce qui est, ici, maintenant, par peur de ne pas arriver à faire face, par désir de montrer que je ne suis pas d’accord avec ce qui m’arrive. Je peux réellement passer le reste de ma vie à ne pas vivre un deuil, à ne pas agir de manière responsable suite à un drame, à me morfondre dans la douleur morale en refusant d’en sortir parce qu’en sortir me fera voir la vie d’une manière différente et entrevoir la mienne telle qu’elle est et non telle que je l’ai rêvée. Ça me paraît impossible et ce contre quoi je me bats, c’est ce que j’envisage et qui serait l’anéantissement total de qui je suis : si j’accepte ce qui se passe, je vais disparaître.
J’ai connu le deuil de proches, je connais la séparation d’avec plusieurs personnes que j’aime profondément, dans un cadre d’aliénation parentale, j’ai vécu des abus divers et si les mots qui précèdent vous semblent froid, ils ne le sont pas. Ils tentent de décrire le mieux possible un écueil à éviter, celui du jugement moral et du figement dans celui-ci.
Il y a près d’une vingtaine d’années, j’attendais des jumeaux et je n’ai hélas pas pu arriver au terme de ma grossesse. Lors de cette gestation, je faisais des cauchemars terribles, où je rêvais qu’on m’enlevait mes enfants, qu’on les plaçait, que je ne les retrouvais pas, parce que j’avais des problèmes de santé. Aujourd’hui, ces rêves surprenants, en décalage qui me semblait alors total avec ma propre situation, me paraissent incroyablement prémonitoires. Ils reflètent le processus dans lequel je me suis maintenant engagée depuis plusieurs années et qui est d’aider les parents qui l’ont perdu à retrouver un lien parent-enfant. De plus, au vu de ce que je sais aujourd’hui, je ne suis pas certaine qu’ils aient été si prémonitoires que cela. C’est réellement ce qui aurait pu m’arriver car des placements sont faits, en Suisse, aujourd’hui encore, dans des circonstances de difficultés économiques ou de santé, de manière disproportionnelle et sans protection adéquate du lien parent-enfant.
Ce que je pense de ma propre réaction si on m’enlevait l’accès à mes enfants ne ressemble en rien à quoi que ce soit de mesuré. Mais il est possible de faire en sorte que le désespoir et la dépression qui en résulte, la révolte qui fait naître des envies criminelles, le désir d’en découdre et de se venger ne soient que des étapes sur un chemin qui permettra de réagir au mieux, de poser des actions pour défendre ses droits et ceux de ses enfants et de poursuivre sa vie parce que c’est la sienne, l’unique qu’on ait.
Ce qui est le miroir de l’auto-accusation, dans le même processus désespéré de tenter d’influencer le cours des choses, c’est l’accusation de l’autre.
Un enfant qui s’est éloigné de moi en raison d’une aliénation parentale n’est PAS sensible à ce que je vais lui dire, à mes explications, à mes justifications. Un enfant aliéné est un enfant manipulé, qui s’est approprié les pensées dénigrantes, à mon égard, de l’autre parent. Aucun adulte manipulé n’est sensible à l’exposé d’explications rationnelles, comment un enfant pourrait-il l’être ? Le processus même de la manipulation implique que la personne manipulée vit sous emprise, sans s’en rendre compte.
Les personnes auxquelles il faut réserver ses explications lors d’aliénation parentale sont les professionnels, les autorités. Les lieux où il est bon d’agir sont ceux où on légifère et où l’on met en place des processus d’application des lois.
Les bons interlocuteurs, alors, ne sont pas les enfants, qui ne croiront pas ce que vous dites, puisqu’ils se trouvent en situation d’exclusion ou d’aliénation parentale, et donc de jugement et de rejet de votre personne. Vos explications ne feront que les conforter dans le fait que vous êtes un menteur, un fourbe, une mauvaise personne. Les responsables de cet état de fait, même lorsqu’ils vous rejettent, ne sont pas les enfants. Ceux-ci ne sont que les victimes d’un processus dont parfois l’autre parent est presque entièrement responsable et que, à coup sûr, nos procédures permettent et dont les autorités font en sorte qu’il puisse perdurer. Autorités et professionnels insuffisamment formés et informés et qui, souvent, se cramponnent à leurs certitudes plutôt que de remettre en question leur pratique et qui s’embourbent, eux aussi, dans une attitude de jugement et de déni.

C’est notre société et notre fonctionnement qui rendent possible ces situations d’aliénation parentale et puisqu’il faut lutter, c’est à cet endroit-là, soit circonstancié, dans votre situation personnelle, soit de manière plus conceptuelle, qu’on peut agir avec le plus de chance d’aboutir à un changement positif.
Amener vos enfants à se positionner en jugeant l’autre parent est non seulement contre-productif mais c’est une maltraitance infantile parce que les enfants, tout en étant des personnes à part entière, sont constitués de ce qui vient de chacun de leurs parents, sans qui ils n’existeraient pas. Il serait bon que les professionnels et autorités de la protection de l’enfance se souviennent également de cela dans la rédaction de rapports et commentaires vus, lus ou entendus par les enfants, mettant à mal les compétences parentales et soulignant leur insuffisance, car attaquer un ou les deux parents c’est attaquer l’enfant. L’amener à porter un jugement sur ses parents l’amène également à se rejeter, en portant un jugement sur lui-même, et si ce long post d’aujourd’hui pouvait amener une seule personne à réaliser cela, il n’aurait pas été inutile.
Régulièrement, les parents auxquels on suggère de se faire accompagner en thérapie rétorquent qu’ils n’ont pas besoin de thérapie, mais que leur situation soit traitée avec équité. Je pense que c’est erroné d’opposer les deux et que l’un n’empêche pas l’autre. Au contraire, obtenir un soutien psychologique permet ensuite d’agir au mieux.
En lisant tout ce qui précède, on se rend bien compte que se retrouver en difficulté par rapport au lien avec ses enfants entraîne des réactions émotionnelles majeures, difficiles à vivre, et qui peuvent nous suggérer de mauvaises pistes. Il est pour moi impossible de songer que l’aide de l’entourage, familial ou amical, de couple, suffira car l’entourage est également émotionnellement touché et se retrouve parfois submergé par les réactions, plaintes, demandes, des principaux concernés. Les échanges sont envahis par les démarches diverses à entreprendre, ou dont en est victime, qui paraissent sans fin. Quand le parent aliéné a formé un nouveau couple, parfois celui-ci chavire, attaqué qu’il est par d’incessants vents contraires.
Toutes les thérapies qui traitent essentiellement du présent, ici et maintenant, et du rapport au corps, peuvent être recommandées. Le massage, le shiatsu, la relaxation profonde – par n’importe quelle méthode -, l’hypnose, le somatic experiencing, l’écoute active et, de manière générale, n’importe quelle méthode de thérapie brève qui s’intéresse au comment (faire avec ce qui est) plutôt qu’au pourquoi (c’est arrivé) me paraissent particulièrement aidants.
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Sur une partie de notre pays, la neige est tombée cette nuit, recouvrant tout d’un cocon moelleux, qui atténue les sons et promet la douceur.
Je vais, pour ma part, aller me promener dans l’air piquant qui me ravivera et me ravira, consciente de chacun de mes pas et savourant tout, absolument tout ce qui, en moi et autour de moi, me procure des sensations agréables.
Et vous, comment allez-vous prendre soin de vous ?
Vous n’êtes pas seul, aucun d’entre nous n’est seul. Se relier en pensée à ceux dont on sait qu’ils existent et qu’ils font face aux même tourments peut amener un sentiment de reliance, d’appartenance et de force. Parce que toujours, ensemble, on est plus forts, et qu’on sait que d’autres nous comprennent.
Simplement extraordinaire. La paix avec la quelle vous m'avez laissé avez vous mots, n'a pas de prix. Merci