POSITIONNEMENT OFFICIEL DU 21 SEPTEMBRE 2019 DU MSCR EN CE QUI CONCERNE LES PLACEMENTS DE MINEURS
Les placements d’enfants à l’extérieur de leur famille sont parfois nécessaires.
Par exemple, lorsqu’on se trouve dans des situations d’actes sexuels contre mineurs, où un enfant est abusé par l’un ou les deux parents, avec la complicité de l’autre, ou par une autre personne, sans que les parents ne réagissent. A ce moment-là, et aussi longtemps que la famille ne trouve pas de meilleur fonctionnement, il est justifié de placer un mineur. Depuis l’enfance, on se construit en construisant également son estime de soi et il est aisé de comprendre que l’estime de soi d’un enfant utilisé sexuellement, et donc qu’on traite comme un objet de plaisir, est au plus bas.
Le comportement agressif d’un enfant contre ses parents ou contre sa fratrie ou le comportement à risque d’un adolescent peut également, si on ne trouve pas d’autre solution, déboucher sur un placement. Dans une famille avec peu de repères, où les contours de chacun sont mal dessinés, confronté à un groupe, ou à d’autres personnes, l’enfant comprendra que les autres sont les autres et ont également des droits, en vivant la notion d’altérité, tandis que l’adolescent pourra être cadré et, si tout se déroule bien, (ré)accéder à la notion de sa propre valeur.
Toute situation de négligence grave ou de maltraitance, quelle qu’elle soit, dont on évalue qu’on ne pourra pas y mettre fin, dans un premier temps, en gardant toute la famille ensemble, est susceptible de déboucher sur un placement d’enfant, ceci étant la mesure ultime de protection, donc celle à laquelle recourir quand il est impossible, ou inadapté, de recourir à une mesure plus légère, comme un accompagnement à la parentalité (instructions donnés aux parents, accompagnement par un éducateur spécialisé/pédagogue, thérapie familiale).
Vivre dans une famille qui fonctionne de manière plus équilibrée, pendant le temps nécessaire, ou être intégré à une vie de groupe, qui enseigne l’altérité et la nécessité de renoncer parfois à la subjectivité, et donc au « moi, je, avant les autres, tout le temps » peut être salvateur pour le bon développement d’un enfant.
Il existe des parents négligents qui, pour diverses raisons, manifestent un intérêt pour leurs enfants de manière aléatoire. Hélas, on ne peut pas forcer quiconque à l’altruisme, pas même des parents. Un placement aura alors pour but de redonner à l’enfant une estime de soi adéquate et de lui permettre de vivre la notion qu’il a le droit à ce que ses besoins soient satisfaits. Il n’est pas certain, que, au retour dans sa famille, l’enfant sera mieux ou plus pris en compte, mais, au moins, il aura vécu le fait d’être soigné lorsqu’il est malade, vêtu et nourri correctement, d’avoir quelqu’un qui se soucie des devoirs à faire pour l’école.
Dans toutes ces situations, même lorsque l’enfant est placé pour son réel bien et qu’il bénéficie du placement, il subsistera une douleur initiale : celle de n’avoir pas été suffisamment reconnu ou bien pris en charge par ses parents et de ne pas être né au sein d’une famille qui fonctionne sainement.
On ne peut pas forcer autrui à se comporter de manière adéquate, même pas envers sa progéniture, et fermer les yeux sur la souffrance des mineurs en cultivant l’idée d’une perfection de la famille (cf Isabelle Vuistiner-Zuber, « Protection de l’enfance, lettre ouverte à tous ses acteurs », 2019, Editions Soleil Blanc, p.71-76) est un déni qui nuit aux enfants et qui empêche la mise en place de prises en charge de remédiation.
J’évite volontairement de mentionner ici les placements en institution d’enfants dits à besoins spécifiques, qui ne sont pas ceux décidés ou validés ou ordonnés par une autorité de protection.
Les placements faits dans les situations ci-dessus mentionnées amènent généralement d’emblée l’adhésion, voire le soulagement, d’au moins l’une des personnes concernées : l’enfant ou le(s) parent(s), pour déboucher progressivement vers une acceptation de la situation par tous, étant entendu que tout placement devrait être limité dans un temps le plus court possible.
Hélas, il apparaît que les décisions judiciaires actuelles de placements de mineurs se cantonnent de moins en moins à ces situations-là, pas si nombreuses car, même en cas de maltraitance avérée, on peut avoir recours à toute une panoplie d’autres mesures.
Le Conseil fédéral vient de présenter ses excuses aux enfants placés de la deuxième moitié du vingtième siècle, ceux dont les parents vivaient dans l’inconfort matériel ou dans un contexte socialement mal accepté (mère célibataire, mère veuve et non remariée, par exemple), et, à moins d’éviter volontairement tout contact avec les médias, chacun d’entre nous a été informé des horreurs vécues par ces enfants d’alors, de la destruction partielle, voire quasi totale, de leur qualité de vie, à un point tel que la Confédération est en train de tenter de les indemniser financièrement pour le mal fait.
Dans le même temps, dans un contexte matériel moins choquant, mais émotionnellement presque aussi perturbant, nos autorités en charge continuent à décider de placements tout à fait contestables ou de valider, soit activement soit par l’inaction, l’exclusion d’un ou des deux parents de la vie de leurs enfants. Il serait préférable qu’elles adaptent de suite leur mode de faire plutôt qu’on réédite la chose et qu’on se retrouve à nouveau à demander pardon et à indemniser les victimes d’enfances détruites par des décisions inadaptées.
Donner d’une main ce que l’on prend de l’autre, prôner des valeurs qu’on viole soi-même, il apparaît que le clivage entre le positionnement officiel des personnes en charge, « pour le bien de l’enfant », et entre les prises en charge effectivement mises en œuvre, nous fait sortir de toute rationalité et est à même de rendre fou toute personne concernée directement par des mesures inadaptées et toute personne qui y est confrontée professionnellement, de manière répétée.
« Rendre fou » n’est pas un terme très scientifique, mais les autorités décisionnelles pour ces placements n’étant, à ce jour, toujours pas des instances professionnelles ou suffisamment compétentes, il convient d’imager. En laissant de côté l’ironie, on sait que, par ailleurs, l’utilisation d’un langage politiquement correct et moins imagé semble moins à même de toucher tout un chacun. Or, le positionnement officiel exprimé ici par le Mouvement Suisse pour la Coparentalité Responsable se veut interpellant.
En psychologie générale et sociale, il est avéré que les liens privilégiés que nous avons avec autrui garantissent notre bonne santé psychique. Différentes études ont montré un lien entre la survenue d’une décompensation psychique et l’absence de lien privilégié. Ceci semble à ce point prégnant qu’il suffirait d’une seule personne, dans la vie d’un individu, qui soit d’accord de tout faire pour montrer sa solidarité avec l’individu concerné, pour que celui-ci ne développe pas une pathologie psychiatrique, alors même que son patrimoine génétique l’y prédisposerait (Brain Forum 2016, EPFL, divers exposés en neurosciences). Même la loi reconnaît le caractère privilégié de tels liens, intrafamiliaux, en soustrayant parfois nos proches à diverses obligations, telles celle de témoigner contre nous, ou en renonçant à faire valoir une notion de responsabilité qui aboutirait à un conflit possible, intrafamilial.
Nous avons tous un besoin d’appartenance, de reliance, de connivence, qui, comblé, nous permet de nous sentir plus armés face aux tumultes de l’existence et qui lui donne aussi sa saveur.
En dépit de l’imperfection des relations intrafamiliales, le lien privilégié qui permet le mieux l’expression d’un amour inconditionnel est celui de la parentalité. On ferait tout pour son enfant, à un point tel qu’il est parfois difficile de le laisser s’autonomiser.
Placer un enfant lorsque ça n’est pas nécessaire, en dépit de la volonté du (des) parent (s) et de l’enfant fait fi de ces notions-là. Penser que l’idée de savoir qu’on a des parents va remplacer leur présence auprès de l’enfant est erroné. Développer un argumentaire fait de vœux pieux et de notions qui concernent le développement de l’enfant, changeantes en fonction de tendances éducationnelles socialement valorisées à un moment donné, en niant la singularité du lien parent - enfant est décollé du réel. Un placement non indispensable nuit à l’enfant, à sa santé, à son développement, à son épanouissement, et bafoue les droits des parents et de la fratrie, quand elle existe, ainsi que de la famille élargie.
La Suisse fait partie des pays interventionnistes en matière de droits de l’enfant (id. p.127), ce qui signifie qu’on privilégie la notion de droit individuel au détriment de tout autre droit. N’oublions pas que, parmi les droits individuels, il y a celui d’être en relation avec sa famille.
Avec une candeur assumée, mais surtout un réel souci du bien véritable de l’enfant, le Mouvement Suisse pour la Coparentalité Responsable exprime aux acteurs officiels de la protection de l’enfance son souhait que tout placement actuel, qui perdure en dépit de la volonté des mineurs concernés et de leurs parents, soit d’urgence réévalué et qu’il soit remplacé par des mesures dites de protection plus légères, pour autant que celles-ci soient indispensables.
Les enfants ont droit à l’innocence et au rêve. Ils construisent leur identité à partir de l’image qu’ils se font de leurs deux parents. Ils ont le droit d’identifier ceux-ci, aussi longtemps qu’il leur est nécessaire, à l’image de héros, tout-puissants et omniscients, ce qui leur donne un sentiment de sécurité.
Un placement qui n’est pas indispensable les arrache sans raison valable et avec brutalité de ce cocon protecteur, les déstabilise, nuit à la crédibilité, à leurs yeux, de leurs héros personnels : leurs parents. Il n’y a rien, en cela, qui soit protecteur pour eux. On peut même parler alors, à juste titre, de placement abusif. Notre société matériellement si confortable, technologiquement si avancée et dans laquelle on valorise la formation, et donc l’information telle que celle diffusée dans ce communiqué, doit renoncer à procéder ainsi.
Pour le M S C R
Isabelle Vuistiner-Zuber, présidente
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